Senchadô : L'autre cérémonie du thé japonaise méconnue

Dans cet article, retrouvez l'histoire de la cérémonie du thé du senchadô.

2/5/20254 min read

Portrait de Baisaô par Ito Jakuchu
Portrait de Baisaô par Ito Jakuchu

Senchadô : L'autre cérémonie du thé japonaise méconnue

Quand on parle de cérémonie du thé japonaise (茶道, sadô), on pense immédiatement au chanoyu (茶の湯), l'art raffiné du thé matcha. Pourtant, il existe une autre tradition tout aussi fascinante : le senchadô, une cérémonie du thé utilisant des feuilles infusées plutôt que du matcha en poudre.

Dans cet article, nous vous plongeons dans l’histoire du senchadô, son lien avec le bouddhisme zen et l’influence du moine Baisaô, avant de vous présenter, dans un prochain article, l’école Ogasawararyû senchadô.

L’Origine du Senchadô : Une Influence Chinoise

L’histoire du senchadô remonte à l’ère Edo (1603-1868), mais ses racines sont encore plus anciennes. Dès le XVe siècle, le Japon adopte des techniques de préparation du thé en provenance de Chine. Sous la dynastie Ming, le thé bouilli gagne en popularité, introduisant ainsi une approche différente de la consommation du thé.

Au XVIIe siècle, le moine zen Ingen (1592-1673) apporte avec lui des traditions chinoises, dont la consommation du thé basée sur l’infusion de feuilles dans une théière. C’est ainsi que naît progressivement une alternative au chanoyu : le senchadô.

Baisaô et la Philosophie du Senchadô

L’essor du senchadô est indissociable de la figure de Baisaô 売茶翁 (1675-1763), littéralement "le vieil homme qui vendait du thé", moine de la secte Ōbaku. Opposé à la formalisation excessive et à l’élitisme du chanoyu, il propose une vision plus simple et accessible du thé. Il vendait son thé dans les rues de Kyoto, laissant ses clients fixer eux-mêmes le prix, voire le déguster gratuitement.

Son message résonne profondément auprès des lettrés et artistes de l’époque Edo, séduits par son approche du thé comme un moment de pure contemplation et de connexion spirituelle. L’un des concepts clés de cette philosophie est le Seifu (清風), un état de calme et de sérénité procuré par l’infusion du thé, inspiré du poème chinois « Sept tasses de thé » de Lu Tong (795-835) :

一碗喉吻潤 / 二碗破孤悶 / 三碗搜枯腸惟有文字五千卷 / 四碗發輕汗, 平生不平事盡向毛孔散 / 五碗肌骨清 / 六碗通仙靈 / 七碗吃不得也, 唯覺兩腋習習清風生 / 蓬萊山﹐在何處,玉川子乘此清風欲歸去

La première tasse humecte ma gorge et mes lèvres.
La deuxième tasse rompt ma solitude morose.
La troisième tasse fouille dans mes entrailles desséchées les écrits de cinq mille rouleaux.
La quatrième tasse génère une légère transpiration qui dissipe à travers mes pores toutes les injustices de la vie.
La cinquième tasse rend mes muscles et mes os légers.
La sixième tasse m'emmène auprès des esprits immortels.
La septième tasse, je ne parviens à la boire ! Je sens seulement une douce brise naître sous mes aisselles.
Où que soit le mont Penglai, Yuchanzi souhaite y revenir, transporté par cette douce brise. Sur le mont, le groupe des immortels dirige ce bas monde, paysage pur et élevé à l'écart du vent et des pluies.

Ce mouvement attire de nombreux intellectuels et artistes, tels que Ike no Taiga 池大雅  (1723-1776), peintre renommé, ou encore l’écrivain Ueda Akinari 上田秋成 (1734-1809). Leur engouement pour le thé infusé contribue à façonner un style de thé des lettrés, loin des codes rigides du chanoyu.

Du Thé des Lettrés aux Écoles de Senchadô

Ironiquement, après la mort de Baisaô, le senchadô tombe peu à peu dans les mêmes travers que le chanoyu : accumulation d’ustensiles rares, codification stricte, et formalisation excessive. C’est ainsi que naissent au XIXe siècle les premières écoles de senchadô, perpétuant cet art dans un cadre plus structuré.

Aujourd’hui, le senchadô reste un rituel peu connu, même au Japon. Il est principalement pratiqué dans la région du Kansai (Kyoto, Osaka, Kobe), berceau de cette tradition. Pourtant, son essence originelle – un moment de simplicité et de partage autour du thé – continue d’inspirer les amateurs de thé et de culture japonaise.

Conclusion

Moins célèbre que le chanoyu, le senchadô mérite pourtant d’être découvert. Héritage d’une tradition séculaire, il incarne une vision plus accessible et contemplative de la dégustation du thé. Dans un prochain article, nous vous présenterons l’école Ogasawararyû senchadô, qui perpétue cet art avec élégance et respect des traditions.

Si vous êtes passionné par l’histoire du thé et la culture japonaise, partagez cet article et faites découvrir le senchadô !

Bibliographie

Sources primaires

  • Seifū sagen 清風瑣言 (Mots futiles de pure élégance), 1794, Ueda Akinari 上田秋成 (1734-1809) dans Hayashiya Tatsusaburō 林屋辰三郎 (dir.), Nihon chasho日本茶書 (Ouvrages classique sur le thé au Japon), Tōkyō, Heibonsha, 2 vols, 1972.

  • Sencha shiyō shū – Seiwan chawa - 煎茶仕用集 – 青湾茶話 (Recueil indispensable sur le sencha - Discussions sur le thé près de la baie de bleue), 1756, Ōeda Ryūhō大枝流芳 (?- vers 1755) dans Hayashiya Tatsusaburō 林屋辰三郎 (dir.), Nihon chasho日本茶書 (Ouvrages classiques sur le thé au Japon), Tōkyō, Heibonsha, 2 vols, 1972.

Ouvrages contemporains

  • Blofeld John, Thé et Tao, L’art chinois du thé, Paris, Albin Michel, 1997.

  • Graham Patricia J., « Documents and monuments in the history of the sencha ceremony in Japan », Kansai Daigaku Tōzai gakujutsu kenkyūjo kiyō, 1993, vol. 26, p.51-67.

  • Graham Patricia J., Tea of the Sages : The Art of Sencha, Honolulu, University of Hawai’i Press, 1998.

  • Takahashi Tadahiko高橋忠彦, « Tōsō wo chūshin to shita inchahō no hensen ni tsuite » 唐宋を中心とした飲茶法の変遷について (À propos de la mutation de la façon de boire le thé entre les périodes Tang et Song), Tōyō bunka kenkyūjo kiyō, vol.109, n°3, 1989, p.243-272.